Leo y releo, con respeto y admiración, la entrevista de Jacques de Saint-Victor con Jacques Le Goff, comentando de manera muy pedagógica la jornada histórica del 8 de mayo de 1429, fecha de la liberación de Orleans. Cuando el eminente historiador concluye que “no se puede gobernar sin el conocimiento de la historia; ya que la historia da un alma y un fundamento a la política” está subrayando, para mi sensibilidad, algo esencial y muy alejado del uso y abuso de la “memoria histórica” con fines cainitas.
Lección magistral, publicada en Le Figaro, 7 diciembre 2006:
Jacques Le Goff : «Comment gouverner sans l’histoire ?»
Propos recueillis par JACQUES DE SAINT-VICTOR
À l’occasion de la réédition de «La libération d’Orléans», de Régine Pernoud, le grand médiéviste s’interroge sur la naissance du sentiment national et sur ce que la connaissance historique peut apporter à la politique.
LE FIGARO LITTÉRAIRE. – Dans votre postface au livre de Régine Pernoud, intitulé « La fin de la France anglaise », vous affirmez que la libération d’Orléans, en 1429, serait un des premiers « hauts lieux de notre mémoire nationale ». Vous allez jusqu’à le comparer à Verdun. Pourquoi ?
Jacques LE GOFF. – Aux yeux des historiens militaires, le siège d’Orléans apparaît comme une péripétie de la guerre de Cent Ans, si on le compare aux grandes batailles rangées, toutes d’ailleurs perdues par les Français (Crécy, Poitiers, Azincourt). Mais il a joué un rôle essentiel dans l’histoire des mentalités. Régine Pernoud l’avait perçu dans son livre. J’ai voulu insister sur sa signification. Ce siège marque la première victoire française, et une victoire à laquelle les contemporains ont donné une grande importance. Il existe une représentation théâtrale, un « mystère » comme on disait au Moyen Âge, contemporain de l’événement, puisqu’il a été composé et joué entre la mort de Jeanne d’Arc, en 1431, et le procès de Gilles de Rais, en 1440, qui le montre très bien. Il faut se rappeler qu’en 1429 la France est coupée en deux : tout le nord de la France est devenu anglais, ou mieux, anglo-bourguignon, bien qu’il n’y ait pas eu annexion, car le roi Henri VI continue à se proclamer roi d’Angleterre et de France. Au sud de la Loire, à l’exception de l’ouest, l’essentiel des habitants reconnaissent comme roi le fils du défunt Charles VI, celui que les Anglais appellent le dauphin Charles (le futur Charles VII). Les Anglais et les Français ont le même objectif : conquérir ou reconquérir la France entière. Étant donné sa situation sur la Loire, Orléans est la clé de la possession du royaume tout entier. À la fin de l’année 1428, les Anglais croient qu’en prenant la ville ils gagneront la « guerre de Cent Ans ». Les Français prennent la chose à leur compte. Ils se persuadent que, s’ils conservent Orléans, ils gagneront la guerre, et que ce ne sera plus ensuite qu’une question de temps pour reconquérir le reste de la France. Ce siège est donc bien l’événement clé du conflit séculaire entre les deux pays.
Après les terribles défaites françaises, on se demande comment la monarchie pouvait encore tenir debout en 1429 ?
Le monde du Moyen Âge a beaucoup plus de ressources qu’on ne l’imaginait à l’époque où on le considérait comme une période noire. N’oublions pas que les Européens, notamment les Français, ont connu d’autres épreuves, notamment les croisades. Ils ont su les surpasser. Certes, après la défaite de Poitiers, la monarchie est fragilisée, car le roi est emprisonné en Angleterre, où il mourra. Comme, dans les siècles précédents, c’est la monarchie qui a fait la France, cette défaite aurait pu être fatale au pays. Or, grâce à Charles V, le prestige de la monarchie s’est maintenu et, lorsque son fils, Charles VI, s’avère fou, on ne songe pas à le renverser, contrairement à ce qui se serait passé en Angleterre. En réalité, les grandes défaites de la guerre de Cent Ans ont surtout affaibli la noblesse. À Azincourt, des lignages entiers ont été décimés. La rumeur publique, qui fait au XIVe siècle son intrusion dans l’histoire, rend les nobles responsables de ces désastres.
À quoi tient la force de la monarchie française de cette époque ?
La monarchie compte, parmi ses forces, la continuité dynastique, les conseils et assemblées, et les légistes. En outre, le roi de France est sacré à Reims. On n’a pas assez insisté sur l’importance de cette transformation du baptême de Clovis en sacre.
Quel fut le rôle de Jeanne d’Arc dans la victoire d’Orléans ?
Régine Pernoud est partie de l’idée que la libération d’Orléans révèle Jeanne d’Arc. Celle-ci joue un rôle encore plus important, en raison de la mentalité de l’époque, selon laquelle la victoire de l’un ou l’autre camp à Orléans sera un jugement de Dieu. Il s’agit pour les Français d’annuler le jugement de Dieu d’Azincourt par une victoire qui signifierait le pardon de Dieu. Celui-ci se manifeste à Orléans de deux façons. Dès le début du siège, le chef des Anglais est tué par hasard d’un coup de canon. N’est-ce pas la preuve d’une intervention divine ? D’autre part, Jeanne d’Arc joue dans la libération d’Orléans ce rôle d’intervention divine. Cette jeune paysanne est allée trouver voilà quelques mois le dauphin à Chinon. L’importance historique de cette rencontre est capitale. Que s’est-il dit ? Nous ne le savons pas. Mais la conjecture la plus vraisemblable, c’est que Jeanne a convaincu Charles qu’il était fils légitime de Charles VI et qu’elle était envoyée par Dieu.
Est-ce une singularité française de regarder certaines femmes comme des « sauveurs » ? Y a-t-il eu des personnages semblables à Jeanne du côté anglais ?
Les Anglais ont certainement vu un signe de Dieu dans leurs victoires militaires. À propos d’Azincourt, Shakespeare fait dire à Henry V qu’il y voit l’action de Dieu. Mais, soit parce que cela ne s’est pas présenté, soit parce qu’ils n’ont pas eu assez d’imagination, les Anglais n’ont pas trouvé de personnage aussi spectaculaire et aussi frappant que la « pucelle d’Orléans ». Ils n’ont pas eu d’envoyé de Dieu. Jeanne appartient à l’imaginaire français.
C’est intéressant. Peut-on aller jusqu’à dire que le légendaire pragmatisme des Anglais s’est, sur ce point, retourné contre eux ?
On peut peut-être avancer prudemment cette hypothèse.
Cette libération d’Orléans aura été en tout cas un moment décisif dans la constitution de la nation française.
C’est une évidence. La leçon du siège, c’est que Dieu a fait libérer Orléans par les Français. Il a ainsi montré que les chrétiens, jadis répartis en monarchies, sont maintenant de plus en plus considérés comme des nations. Et les nations doivent se respecter l’une l’autre. Il ne s’agit pas de faire disparaître les Anglais. Il s’agit d’empêcher les Anglais de prendre aux Français ce que Dieu leur a donné. Ainsi, Orléans correspond en effet à un moment important dans la constitution des nations. La reprise ultérieure de Paris est importante, mais elle l’est moins symboliquement car elle intervient à un moment où la victoire française est désormais prévisible. Alors qu’à Orléans, on ne sait pas encore ce qui peut se passer.
À propos du mystère d’Orléans, vous écrivez que « de nos jours, il est rare qu’un événement donne lieu dans la foulée à une oeuvre littéraire : nous avons besoin d’un certain répit ». Ne sommes-nous pas au contraire envahis d’histoire immédiate plus ou moins littéraire ?
Mais il y a peu, me semble-t-il, d’oeuvre immédiate qui apporte de véritables lumières. Il y a un certain nombre d’années, Jean Lacouture a créé l’expression : « l’histoire immédiate ». Mais, par les médias, nous vivons cette immédiateté ; nous avons donc besoin, pour écrire une histoire plus profonde, de prendre de la distance. La surinformation nécessite de laisser s’écouler du temps. Prenez le fameux roman Les Bienveillantes de Littell. Ne représente-t-il pas, par rapport aux camps nazis, un ouvrage de la nature du mystère d’Orléans ? Mais la chronologie se renverse. Au XVe siècle, ce qui confère une valeur particulière au mystère, c’est qu’il a été conçu et représenté très peu après l’événement. Au contraire, l’attrait d’un Littell tient à ce qu’il écrit loin de l’événement. Car il faut de la décantation.
Ne tient-il pas aussi à un intérêt obscur pour le Mal, pour les passions les plus sombres ?
Le retour des passions est un grand trait de l’histoire. On est allé par exemple rechercher les croisades pour expliquer les événements du Moyen-Orient. Bush s’est présenté comme un des croisés de l’Occident, et les Arabes ont regardé les croisés comme les premiers signes de la méchanceté anti-islamique de l’Occident. Je l’avais pressenti. On m’a beaucoup reproché d’avoir été un des premiers médiévistes à avoir dit du mal des croisades. Mais c’est maintenant qu’on en mesure l’impact négatif.
Cela nous ramène à la « longue durée » chère à Fernand Braudel. André Burguière vient de publier une Histoire intellectuelle des Annales. Où en est selon vous cette « nouvelle histoire » ? N’est-elle pas en panne ?
Je suis assez mal placé pour vous répondre puisque les réunions du comité des Annales ont souvent lieu chez moi. Mais je ne vois pas de déclin des Annales. N’a-t-on pas exagéré, voire inventé, la crise de l’histoire ? La vivacité de l’histoire continue dans sa production. Je ne vois ni retour en arrière ni tarissement. Certes, c’est un peu banal de le dire, la nouveauté ne dure pas toujours. Pour autant, « l’histoire continue », comme disait Georges Duby.
Elle n’a plus la place qu’elle occupait ?
Il est vrai qu’elle n’est plus à la première page des journaux comme elle l’a été jadis. Mais notez bien que sa place dans l’intérêt des médias ne s’est pas modifiée parce que l’histoire déclinerait ou qu’elle cesserait d’intéresser les lecteurs. En revanche, ce qui m’apparaît comme une véritable régression de l’histoire, c’est que sa place est de plus en plus marginale dans la formation et la culture des hommes et des femmes politiques. Comment gouverner la France en tenant aussi peu compte de son passé ? J’en profite pour souligner l’excellent livre posthume d’Yves Renouard (1908-1965) sur les caractères généraux de la France (1). Je déplore aussi que la dimension historique soit si peu présente dans la construction de l’Europe. L’histoire est nécessaire pour donner une âme et une assise à la politique.
(1) Leçons sur l’unité française et les caractères généraux de la civilisation française, édition François Renouard, Bordeaux, 2005.
La libération d’Orléans (8 mai 1429) de Régine Pernoud Postface de Jacques Le Goff Gallimard/Les journées qui ont fait la France, 320 p., 22 €.
translation para los que no dominamos la lengua de Moliere y Tintín, please. 😉
Jaime,
Lo siento: traducir me daría una faena fuera de lugar. I’m really sorry, mein lieber Freund,
Q.-
PS. Para colmo, hay lectores que responden ¡en catalán!
Estoy de acuerdo con la cita y con el citador. La Historia es el alma de la Política. En un pueblo devenido nación no es Historia legítima la que divide. No fue política legítima, ni legal, la de Franco; ni es legítima, aunque sí legal, la revanchista de Zapatero. Suárez y González, sí cumplieron con el precepto.
Saludos, Juan Pedro.
Santiago,
Nos cruzamos de aquí para allá con las citas. Espero que tengais buen tiempo por Cartagena y la cuenca del Guadalentín o Sangonera..
Q.-
Si algo nos enseña con terquedad la historia -proteste o no desde su tumba don Cicerón-, es que la historia no enseñana nada. No es maestra da nada. Cada generación repite los errores de las generaciones anteriores en cuanto tiene oportunidad y, sin embargo, cada generación contempla atónita cómo las generaciones que la siguen repite incensantemente esta misma historia. Más aún: la historia es una grandísima fulana sin escrúpulos que se va con cualquiera. Basta recorrer una librería para constatarlo.
Gregorio,
En el terreno filosófico, sin duda: lo sensato es leer a Shakespeare o Aron sobre Giscard: «Su problema es que no ha comprendido que la historia es una tragedia; que siempre acaba mal«.
Dicho esto, en el terreno práctico de la gestión de los negocios públicos, y un poco más, en la formación cultural básica, un poco o un mucho de historia no hacen daño: incluso permiten comprender algo. La ignorancia es la tierra de cultivo de todas las tiranías, incluida la tiranía de la «opinión pública», tan manipulable por los caudillos..
Q.-
La Historia nos constituye como individuos y como pueblos. Somos lo que hemos sido. El control de la información histórica, su falseamiento, su utilización propagandística, es el primer paso para el control y dominio del pueblo. Es llamativa la saña con que los conquistadores se apresuran a destruir las señas de identidad de los pueblos sometidos: ya sea un templo, o una biblioteca, o un monumento. Fijáos que el monumento significa, según su etimología, recuerdo: ¿cómo puede un pueblo prescindir de su historia?
Joaquín,
Dudar de todo eso sería arruinar todo fundamento de vida civilizada, claro,
Q.-
PS. La etimología de monumento me parece bella.
Dudo de todo eso. Hace más por la identidad colectiva el mito que la ciencia (histórica). Una comunidad humana es una comunión en el prejuicio. Y, posiblemente, así debe de ser. A la Segunda Intempestiva de Nietzsche me remito (con permiso de Joaquín, claro).
El diablo cree en Dios y los políticos creen en la Historia. Ambos (el diablo y los políticos) en calidad de adversarios. Algo sustantivo tendrá la historia cuando se la quiere malear al servicio de intereses espúreos.
Joaquin, académicamente hay, como mínimo dos historias. Me refiero a la doble concepción de la historia como «res gestae» y «rerum gestarum». Pero ¿cómo se accede a la primera? ¿Dónde está la «res gestae» de España? En el caso del concocimiento histórico la subjetividad, si es sincera, es verdadera. En la historia subjetivo se opone a objetivo, no a falso. Con lo cual, inevitablemente, hemos de legitimar las diferencias académicas de acuerdo con las diferentes perspectivas historiográficas.
Y no entro en la manipulación interesada o en el romanticismo idealizante.
En última instancia es historia todo aquel libro que lleva en la portada la palabra «historia».
Ha sido la propia historiografía la que ha enterrado a Hegel, a Marx, a Pierre Vilar y, pronto enterrará hasta al mismísimo Fontana.
Gregorio, conozco esa tendencia historiográfica que piensa que la historia no existe (hoy), no nos es accesible, y que tan sólo nos resta interpretar las reliquias documentales.
Para el que conserve algún átomo de veneración a la Verdad, es una versión inaceptable. ¿Dónde quedaría la honra a nuestros antepasados, o la fe que depositamos en individuos excelentes, como Sócrates, Jesús o Sir Thomas More?
De considerar la historia como un constructo de nuestra inteligencia aplicada a los documentos, sólo hay un paso para la tiranía de los inventores de historias al servicio del Tirano de turno.
En la referencia a la fe, completamente de acuerdo.
Gregorio, Joaquín,
Desde el punto de vista de la filosofía, o la filosofía de la historia, el debate no tiene fin, ya que el objeto de estudio (la historia misma) está sujeto al relativismo de distintos puntos de vista. De ahí que la legislación en la materia pueda conducir a la Tiranía: convertir en Ley el punto de vista individual o colectivo de esta o aquella facción triunfante.
Por el contrario, sea cual sea el punto de vista (historia del clima, historia de los reyes godos, historia económica, historia de las instituciones, historia de las ideas, historia de los conceptos de historia, etc.), la historia siempre constituye un cimiento que aporta nueva luz a nuestro pasado, presente y futuro. Incluso cuando el punto de vista de este o aquel historiador es “enterrado” por este o aquel nuevo historiador, esa materia y fruto de la cultura contribuye a enriquecer la trama toda de la misma historia. Y el estudio de tal materia, incluso aprendida a la manera tradicional, del recuerdo del nombre de los reyes godos, la caída de la dinastía austro húngara, o la historia del Komintern en Barcelona, nos ayuda a entender la complejidad de lo real: de ahí la Tiranía de la Ignorancia y el Relativismo… cuando todo se ignora o nada vale, triunfa la Ley de la Selva, donde impone su Ley el más fuerte e insensible al punto de vista del vecino; de ahí el crimen de la legislación penal en la materia, en nombre de las relaciones de fuerza parlamentaria: se arruinan los principios éticos y morales, sustituidos por los intereses de coyuntura de estas o aquellas facciones en pugna por el poder,
Q.-