La comercialización de los fondos del Louvre enfrenta a las autoridades de tutela (dirección del Museo, ministerio de cultura) y más de un millar de profesores, historiadores, conservadores y directores de museos que denuncian una “deriva mercantilista” que consideran “inquietante” para la identidad cultural.
Jean Clair, ex director del Museo Picasso, Françoise Cachin, presidenta honoraria de la institución Museos de Francia, y Roland Recht, profesor emérito en el Collège de France, lanzaron la batalla con un artículo – manifiesto, denunciando dos operaciones comerciales del Louvre: el préstamo durante 11 meses de 185 obras de gran importancia, al High Museum de Atlanta, previo pago de 13 millones de euros; y la construcción de un museo en Abou Dhabi, en los Emiratos Árabes, que habría comprado el derecho a llamarse Museo del Louvre, en un país musulmán…
La denuncia del trío Clair – Cachín – Recht, tuvo un éxito fulminante. Y se ha transformado en un manifiesto que ya han firmado más de un millar de profesionales del arte, la cultura, la museística. Lo que comenzó siendo una protesta intelectual de fondo amenaza en convertirse en una fronda contra las derivas mercantilistas de los grandes museos y las instituciones de dirigen el patrimonio artístico y cultural.
Henri Loyrette, presidente del Louvre, se ha visto forzado a responder, manifestando una sorpresa de fachada: “El dinero es importante; pero no es el único motor de nuestra acción en el extranjero”. A su modo de ver, el préstamo remunerado de obras maestras es una práctica habitual entre grandes museos.
Sin embargo, el fondo de la cuestión es muy otro y viene de muy lejos.
El Estado lleva años vendiendo buena parte de su patrimonio inmobiliario nacional. Grandes inmuebles históricos pertenecen ya a millonarios árabes. Por su parte, la Reunión de los Museos Nacionales regenta el patrimonio artístico nacional con evidente mano de hierro financiera. La tentación de “ir más lejos”, y vender la “marca” Louvre, a multimillonarios árabes o tejanos, está bien presente en las operaciones de Atlanta y Abou Dhabi, que no tienen tradiciones museísticas conocidas, pero pueden comprar al precio más alto el alquiler o la marca del primero de los grandes museos nacionales.
Los herederos de Picasso ya vendieron su “marca” a un constructor de automóviles. ¿Puede un Estado seguir la misma política, poniendo a la venta la imagen nacional del patrimonio y los grandes museos? Ese es el debate de fondo.
- La Tribune de l’Art, 14 diciembre 2006: 1592 firmas contra la mercantilización del patrimonio nacional.
- Le Monde, 12 diciembre 2006: Les musées ne sont pas à vendre, par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht:
Jusqu’à présent, le monde des musées français était envié pour l’exceptionnel soutien dont il bénéficie de la part de l’Etat et des municipalités. Il l’était par exemple aux Etats-Unis, où un seul musée est national, celui de Washington. Tous les autres dépendent majoritairement de l’argent privé.
Bien sûr les musées français savaient obtenir occasionnellement une aide provenant du mécénat privé, en particulier pour les expositions plus prestigieuses ; et il faut saluer cette nouvelle loi qui propose de fortes exemptions fiscales aux entreprises et personnes privées qui donnent des oeuvres d’art importantes, ou de l’argent pour les acquérir. Nous avons aussi souvent, en échange de mécénat, organisé pour le Japon ou Taïwan, pays pauvres en art occidental, des expositions à caractère scientifique, conçues par les conservateurs français.
Pourtant, hormis le Musée Guggenheim de New York, qui fut le désastreux pionnier de l’exportation payante de ses collections dans le monde entier, et se vante d’être un «entertainment business», l’éthique des musées outre-Atlantique et du reste de l’Europe demeure jusqu’à présent irréprochable, mettant au premier plan les devoirs concernant les collections, la recherche, leur enrichissement, le travail scientifique des conservateurs, le rôle éducatif de l’institution, le respect du public, bref, les codes déontologiques des musées publiés par l’ICOM (Conseil international des musées).
Philippe de Montebello, directeur du Metropolitan Museum de New York, avait déjà, en septembre 2003, lancé un avertissement sévère sur la commercialisation effrénée du patrimoine public, en particulier par le système des «loan fees» (prêts payants) d’oeuvres et la tendance de certains musées à s’orienter vers les «marchés culturels» et les «parcs de loisirs». Ils risquent, avait-il ajouté, «d’y perdre leur âme».
Aujourd’hui, avec l’exemple de l’opération du Louvre à Atlanta, où des tableaux qui comptent parmi les plus grands chefs-d’oeuvre des collections comme le Et in Arcadia Ego de Poussin, le Baldassare Castiglione de Raphaël ou Le Jeune Mendiant de Murillo, ont été déposés dans la riche cité du Coca-Cola, pour un an ou trois mois, selon les oeuvres, en échange de 13 millions d’euros.
Nous ne méprisons ni l’argent, ni le mécénat, ni l’Amérique, comme l’on risque très rapidement de nous en accuser ! Mais tout cela peut nous entraîner dans une déviance que nul ne pourra bientôt plus limiter. Sur le plan moral, l’utilisation commerciale et médiatique des chefs-d’oeuvre du patrimoine national, fondements de l’histoire de notre culture et que la République se doit de montrer et de préserver pour les générations futures, ne peut que choquer. Et puis pourquoi les sept millions de visiteurs annuels du Louvre, payants pour la grande majorité, devraient-ils être privés de ces oeuvres si longtemps ? Il est facile et injuste de mépriser un public à cause de son engouement monomaniaque pour La Joconde. Nombreux, fort heureusement, sont ceux qui vont découvrir autre chose.
La permanence de certains chefs-d’oeuvre qui forment les collections d’un musée est une exigence que peut avoir tout visiteur. La quête de manne financière à laquelle pousse le nouveau statut des grands musées français peut expliquer certaines dérives, mais, fort heureusement, tous n’y cèdent pas.
Le pire est encore à venir. L’exemple actuel d’Abou Dhabi est alarmant. Ce pays d’à peine 700 000 habitants se propose de construire, dans un site touristique et balnéaire afin d’en augmenter l’attractivité, quatre musées, dont un inévitable Guggenheim, et un «français», portant la griffe «Louvre», mais obligeant à des prêts à long terme tous nos grands musées, dont les responsables n’auront plus leur mot à dire. Ce sont nos responsables politiques qui sont allés offrir ce cadeau royal et diplomatique. Contre près de 1 milliard d’euros… N’est-ce pas cela «vendre son âme» ?
Et qu’en est-il des intérêts réciproques avec la Chine ou l’Inde ? Une annexe du Musée national d’art moderne à Shanghaï semble être envisagée, alors que l’espace actuel du musée dans Beaubourg interdit de déployer ses collections, pour la plupart en réserve, qui feraient de lui, s’il y avait à Paris l’espace qu’elles méritent, l’un des deux plus beaux et des plus grands musées d’art moderne du monde, avec le MOMA de New York.
L’ensemble des grands musées français et européens ont résisté à ces expansions ou locations commerciales et médiatiques et les désapprouvent. Tout comme s’y opposent la plupart des conservateurs français, contraints à un devoir de réserve contestable sur des sujets qui sont pourtant l’essence de leur métier. Bien sûr, il faut prêter des oeuvres d’art si leur état le permet et si leur sécurité est garantie, mais gratuitement, et dans le cadre de manifestations qui apportent une contribution à la connaissance et à l’histoire de l’art. C’était, jusqu’à présent, un impératif moral et scientifique.
Selon quel principe, soucieux de la conservation et de la mise en valeur des collections patrimoniales, devrait-on utiliser les oeuvres d’art comme des monnaies d’échange ? Les enjeux politiques et diplomatiques doivent-ils primer sur toute autre considération et entraîner des dépôts payants d’oeuvres essentielles au patrimoine d’un pays ? Serions-nous le seul pays d’Europe à l’envisager ? Et imiter les locations de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg à Las Vegas par exemple, pour pouvoir payer ses employés ?
Qu’avons-nous en France de mieux à offrir que nos trésors d’art, qui attirent chaque année une grande partie des 76 millions de touristes, les plus nombreux du monde ? Que l’on puisse rêver d’un monde où circuleraient librement les hommes et les biens de consommation est légitime. Mais les objets du patrimoine ne sont pas des biens de consommation, et préserver leur avenir, c’est garantir, pour demain, leur valeur universelle.
Françoise Cachin es directora honoraria de los Musées de France.
Jean Clair ex director del Museo Picasso y escritora.
Roland Recht es professor en el Collège de France.
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