Quizá ningún Estado europeo puede afrontar, hoy, en solitario, los grandes desafíos históricos, inmediatos.
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De ahí la gravedad e importancia esencial de la cuestión europea: ¿Cómo construir un espacio político común? ¿Existe una identidad europea de los pueblos europeos?
Escribí hace siglos un libro abordando tales cuestiones, La gran mutación.
Cuestiones que llevo años abordando en este cuadernos de notas:
- George Steiner, el ocaso de Europa y el desarraigo de los jóvenes europeos.
- Las crisis de Europa vistas por Jürgen Habermas.
- Giscard, Napoleón, los Estados Unidos de Europa, la crisis y el destino de nuestra civilización.
- Finkielkraut: “La identidad de Francia está amenazada por el multiculturalismo”.
De ahí mi interés por el diálogo / debate entre Daniel Cohn-Bendit y Alain Finkielkraut que publica Le Monde, pedagógico y de gran envergadura conceptual:
Institutions, valeurs, immigration : un débat sur ce qui divise l’Europe
Qu’est-ce que l’identité européenne ? Et à quel moment en avez-vous pris conscience ?
Alain Finkielkraut. L’Europe m’est d’abord apparue comme la construction d’une entité nouvelle – ni nation ni empire – destinée, après deux guerres effroyables, à garantir la paix sur le Vieux Continent. Que l’Europe ait aussi une identité et que cette identité soit indissociable de l’identité nationale, que l’Europe, autrement dit, s’atteste dans la diversité de ses profils, ce sont les intellectuels tchèques, hongrois et polonais qui m’en ont fait prendre conscience. J’ai pour toujours en mémoire le récit déchirant qui ouvre l’article de Milan Kundera sur la tragédie de l’Europe centrale : en septembre 1956, le directeur de l’agence de presse de Hongrie envoya par télex dans le monde entier ce message sur l’offensive russe déclenchée contre Budapest et qui allait écraser son bureau : » Nous mourrons pour la Hongrie et pour l’Europe. »
L’autre Europe, comme on disait alors, me révélait que j’appartenais à une civilisation précieuse et périssable. Mais aussi admirative qu’elle fût de l’héroïsme des dissidents, mon Europe ne voulait pas – et ne veut toujours pas – entendre ce discours. Au sortir du XXe siècle, elle s’est engagée, pour conjurer définitivement ses propres démons, dans la voie de la désincarnation par l’économie, la morale et le droit.
Daniel Cohn-Bendit. Je suis né en 1945, alors que mes parents étaient cachés en France en raison des persécutions antijuives. J’ai été apatride pendant quatorze ans, puis j’ai choisi la nationalité allemande pour ne pas faire mon service militaire. Pour moi, l’Europe a toujours été une évidence. Je crois que, s’agissant de l’identité européenne, nous sommes aujourd’hui à un moment historique décisif. Nous sentons que les Etats-nations s’essoufflent ; qu’ils veulent défendre une idée de civilisation, de culture, qui est malmenée parce que le monde change à une vitesse incroyable… Construire l’identité européenne, c’est dépasser l’identité nationale, tout en protégeant les moments de progrès civilisationnel développés par chaque nation. L’identité européenne est en devenir et ne peut correspondre qu’à une identité de nature post-nationale. Dans la mesure où celle-ci n’a rien à voir avec une identité figée, elle est sans doute moins confortable pour les individus.
A la limite, être européen, c’est ne pas avoir d’identité prédéterminée. Ce qui ne veut pas dire qu’elle porterait atteinte aux spécificités nationales. Au contraire, celle-ci doit coexister, pour ne pas dire s’affirmer en tant que garante du pluralisme identitaire européen. Notre identité singulière est d’ailleurs plurielle et en évolution permanente. Depuis une quarantaine d’années, la construction européenne s’ajoute à toutes nos autres identités et les transforme. Il n’y a donc pas un mode d’être européen univoque, mais des Européens. Tout comme il n’existe pas plus, pour moi, un mode d’être français mais des Français.
A. F. Des Européens, des Français certes, mais une Europe et une France. Frappée d’opprobre aujourd’hui par les élites intellectuelles de la nation, l’identité nationale n’est rien d’autre que la modalité française de la civilisation européenne. Et cette identité, nous ne la fabriquons pas, elle nous est donnée. Entre Dieu et nous, il y a cette différence que rappelle très justement Régis Debray : » Nous, nous sommes contraints, nous produisons du neuf, oui, mais à partir de ce que nous avons reçu. » Défions-nous comme de la peste de la présomption identitaire, mais soyons assez humbles aussi pour reconnaître notre dette, et, quand il le faut, pour l’acquitter. L’identité, c’est la marque de la finitude. Lorsque des inondations ravagent la Sardaigne, c’est le président du conseil italien qui décrète un jour de deuil national. On n’a pas pris le deuil à Bruxelles.
D.C.-B. C’est faux ! Il y a eu, par exemple, une minute de silence au moment du tremblement de terre en Italie. Sept cent cinquante députés européens se sont levés et en ont fait un deuil européen.
A. F. Dont acte. Mais ce geste n’a eu aucune répercussion à Paris, à Berlin ou à Copenhague. La nation, c’est l’espace où ce qui arrive aux autres vous arrive à vous. Malgré la » téléprésence » du monde, il n’est au pouvoir de personne d’en repousser les frontières. Et c’est dans cet espace circonscrit que la démocratie prend sens. D’où l’incrédulité et la fureur que suscite la gouvernance européenne quand elle entreprend de rééduquer les peuples. Un exemple parmi d’autres : saisie par une mère finlandaise qui habite maintenant l’Italie, la Cour européenne de justice a ordonné aux autorités de ce pays de retirer les crucifix des salles de classe, alors même que la présence de ces objets n’est plus cultuelle, mais purement patrimoniale.
D.C.-B. La Cour suprême allemande a fait la même chose.
A. F. Oui, mais elle l’a fait en Allemagne et pour l’Allemagne. Deuxième exemple : Viviane Reding comparant la politique française vis-à-vis des Roms aux déportations de masse de la seconde guerre mondiale. Des commissaires qui ne savent pas de quoi ils parlent se croient autorisés à faire de l’Europe une maison de redressement pour nations délinquantes.
D. C.-B. Viviane Reding n’a fait que rappeler l’une des » caractéristiques identitaires essentielles » de l’Union européenne et qui est aussi, si je ne m’abuse, revendiquée haut et fort par la France, à savoir, l’universalité des droits de l’homme. N’oublions pas que dans l’espace européen, vivent de 300 000 à 400 000 Roms, et qu’ils ont des droits. Ce sont des Roms roumains, bulgares, hongrois…
En tant que garante des traités signés par tous les gouvernements, la Commission européenne a fait ce qu’elle devrait faire systématiquement, c’est-à-dire dénoncer le traitement inadmissible de certains citoyens européens par un Etat pour faire en sorte que les droits de tous les Européens soient effectivement respectés. Et contrairement à ce que vous disiez juste avant, l’idée de réaliser une démocratie européenne reste non seulement valable, mais constitue à mon sens le premier des impératifs politiques.
Quand on voit qu’en France, l’on a pu croire que le nuage radioactif de Tchernobyl reconnaîtrait les frontières de l’Hexagone pour épargner le pays, on se dit que la Commission européenne aurait mieux fait de se mêler de ce qui, à vous écouter, ne la regardait pas, pour que les Français puissent prendre les mêmes précautions que leurs voisins européens. Aujourd’hui, avec la dégradation climatique, la plupart des catastrophes n’arrivent pas dans un seul pays. Et on a vu ces derniers temps qu’il existait un sentiment de solidarité des Européens.
Et puis j’en ai assez que l’on me parle de l’identité nationale, de la démocratie française. Quand est-ce que la France est devenue une démocratie ? Tout le monde se réfère à 1789, à la Déclaration universelle des droits de l’homme, comme point de départ de la civilisation française. En réalité, la France n’est devenue une démocratie effective que cent cinquante ans plus tard. Avec le droit de vote des femmes, en 1945. La démocratie n’est donc réalisée qu’avec l’actualisation du principe d’égalité. Avant, et aussi longtemps que subsistent les discriminations dans les faits, c’est une démocratie en construction.
Ne serait-ce pas cela, l’identité européenne, un ensemble de valeurs supranationales qui nécessitent un transfert de souveraineté ?
D.C.-B. La construction européenne repose sur deux valeurs fondamentales : la lutte contre le fascisme et le nazisme et la lutte contre le communisme et le stalinisme. C’est-à-dire l’antitotalitarisme. La construction européenne, c’est la construction d’un espace politique qui veut se protéger contre une partie de l’histoire de l’Europe, celle des totalitarismes et du colonialisme. Le transfert de souveraineté se fait là où les Etats-nations ne peuvent plus, en tant que tels, répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés. Dans le contexte contemporain, l’Europe doit donc se structurer afin de démocratiser la mondialisation et veiller à la réalisation effective de ses valeurs démocratiques au profit de tous les Européens.
A.F. A l’âge de la technique planétaire, il serait, en effet, stupide de nier l’existence de défis méta-nationaux. Quand la Terre s’abîme et que les ressources s’épuisent inexorablement, une communauté de destin rassemble tous les hommes. Mais est-ce vraiment faire face au péril que d’assurer en tout lieu la primauté de la concurrence, comme le veut le marché unique européen ? L’espace ainsi constitué fragilise les services publics et ne protège en rien contre les catastrophes à venir.
D.C.-B. Mais l’idéologie libérale ne tombe pas du ciel ! Si elle a pris le dessus en Europe, c’est parce qu’elle est défendue par des gouvernements élus qui font l’Europe.
Le projet politique européen, précisément parce qu’il ne correspond à rien de préexistant, n’est pas par essence néolibéral. Prenons le cas de la politique agricole commune. Elle fut mise en place pour pallier la déficience des pays qui ne pouvaient assurer seuls leur souveraineté alimentaire. Le fait que l’on puisse, à juste titre, critiquer la manière dont elle a été mise en œuvre ne veut pas dire que l’idée de communautariser l’agriculture n’était pas pertinente.
Mais ce n’est pas l’Europe qui s’est trompée : ce sont les Etats-nations ! L’industrialisation de l’agriculture, ce sont la France et l’Allemagne qui l’ont poussée. Et aujourd’hui, ce qui est intéressant, c’est qu’au niveau européen, il existe une remise en cause de l’idéologie nationale de l’agriculture intensive. Revenons aux services publics. Le problème n’est pas l’espace européen en soi, mais les politiques menées dans celui-ci. Ce sont les citoyens qui ont voté pour des forces politiques aux tendances néolibérales, qui remettent en cause une certaine forme de service public. S’il y avait une autre majorité en Europe, elle ferait une autre politique.
N’est-on pas aujourd’hui face à une » Europe postdémocratique «, qui s’affranchit de la souveraineté des peuples ?
D.C.-B. Jürgen Habermas parle d’une Europe postdémocratique certes, mais qui doit continuer sa construction démocratique. C’est exactement dans cet esprit que je dis de la France qu’elle a mis cent cinquante ans à devenir une démocratie. Les problèmes de la construction européenne sont le miroir des difficultés démocratiques des Etats-nations.
A.F. Il reste que la France se fait passer un savon par le président de la Commission européenne en personne quand elle se hasarde à défendre l’exception culturelle.
D.C.-B. Le Parlement européen a voté contre la Commission là-dessus, et nous avons gagné : l’exception culturelle ne figure pas dans les négociations avec les Américains !
A.F. Tant mieux, mais nous ne nous sentirons jamais représentés par les institutions européennes. La nation est et restera l’habitacle de la démocratie parce que celle-ci – régime de discussion sur l’organisation du vivre ensemble – suppose une langue commune, des prémices communes, un avenir commun et un attachement à un même passé. Si la France décide de freiner les flux migratoires pour se donner les moyens de résoudre la crise de l’intégration et que le Parlement de Bruxelles s’y oppose, cette instance ne sera pas perçue comme la maison du peuple européen, mais comme une pièce du Château, au sens kafkaïen du terme. Les élections n’y changent rien. L’Europe cesse d’être démocratique dès lors qu’au lieu d’associer les nations, elle se substitue à ces dernières.
L’identité européenne est-elle menacée par l’immigration, ou l’est-elle plutôt par le repli sur son essence supposée ?
D.C.-B. Je refuse de rentrer dans l’espace des phobies. Il ne faut pas confondre la libre circulation, qui concerne les citoyens européens, et le problème de l’immigration. Sur ce point, malheureusement, l’Europe a aujourd’hui une politique de forteresse qui ne fonctionne pas. Regardez le drame de Lampedusa. Les Européens, poussés par la France, l’Allemagne, et tous ceux qui disent vouloir réguler l’immigration – c’est une manière euphémique de parler – ont rejeté les migrants à la mer. Nous nous sommes battus, au Parlement, pour que l’agence européenne chargée de refouler les migrants aux frontières, Frontex, sauve les naufragés plutôt que de les laisser crever en mer –, ce que les gouvernements avaient jugé » facultatif » en omettant de le mentionner dans la définition du rôle de Frontex.
Je vais vous raconter une histoire merveilleuse, à propos de l’identité française. A Lampedusa, un capitaine de Frontex a sauvé plus de 200 personnes. Un journaliste lui a alors demandé si cela faisait partie de ses fonctions, et il a répondu : » Non, mais cela fait partie de mes responsabilités en tant qu’humain. C’est ce que j’ai appris dans la marine française. « C’était très beau. Mais cela rentrait en contradiction avec les directives officielles.
A.F. Tous les garde-côtes qui patrouillent au large de Lampedusa secourent les naufragés. Et loin d’être une forteresse, l’Europe accueille des centaines de milliers d’immigrants chaque année. C’est pourquoi se pose la question de la réduction des flux migratoires et du durcissement éventuel des conditions du regroupement familial. Mais bien qu’il soit abusif de ne concevoir le droit de vivre en famille que comme le droit à vivre en famille dans un pays européen, cela, la morale européenne officielle ne veut pas l’envisager. On peut s’en féliciter. On peut s’étonner aussi de voir que l’Europe est devenue une destination privilégiée pour les ressortissants des pays qui se sont affranchis du colonialisme européen et qui ne manquent pas une occasion de rappeler son caractère criminel, voire génocidaire.
En exportant leurs populations, certains Etats d’Afrique ou du Maghreb deviennent des économies de transfert. C’est désastreux et pour eux et pour nous, car nous vivons une double crise aujourd’hui. Crise de la transmission, d’abord : ce n’est plus l’école qui forme les individus, c’est le divertissement. Et la dérision se généralise au détriment de l’admiration pour les belles choses. Crise de l’intégration, ensuite : on nous parle sans cesse d’un retour des années 1930, mais ce qui distingue notre époque opaque de ces sombres temps, ce sont les territoires perdus de la République où les chauffeurs d’autobus, les professeurs, les commerçants vivent sous la menace constante de l’agression, où les femmes sont tyrannisées et où l’antisémitisme se donne libre cours en même temps que la francophobie. Et c’est le moment que choisit le Conseil de l’Union européenne pour récuser, au nom de la tolérance, la préséance culturelle de la société d’accueil, en affirmant que » l’intégration est un processus dynamique à double sens d’acceptation mutuelle de la part de tous les immigrants et résidents des Etats membres «.
D.C.-B. Quand j’entends ce langage sur le regroupement familial et l’immigration, j’en tremble ! Si nous avons aujourd’hui une population d’immigrés, c’est parce que dans les années 1950, nous n’avions pas une force de travail suffisante pour développer notre économie. Et c’est le ministre allemand de droite, et non pas l’Eglise ni les bien-pensants des syndicats, qui a appelé les travailleurs turcs, serbes, yougoslaves en Allemagne. Tout comme il y a eu en France une immigration polonaise catholique, puis en provenance du Maghreb. On a voulu faire venir cette force de travail, mais un être humain ne vient pas seul. Quand il est resté quelques années dans un pays, il se marie, fait venir sa femme, ils ont des enfants, et c’est comme ça que l’immigration s’est installée et a transformé notre population. Pendant trente ans, nous n’avons pas eu de politique d’intégration, nous avons cru que cela se faisait tout seul. C’est un échec de la politique d’intégration. Un échec de notre capacité à évoluer, à s’adapter.
A.F. Nous évoluons très vite, au contraire, et plutôt que de régler le problème, nous accompagnons le processus. Les experts, les sociologues, les hauts fonctionnaires français mettent même un zèle si ardent à suivre les directives européennes qu’ils remplacent le concept d’intégration, jugé encore trop normatif, par celui de société inclusive. Ce qui veut dire qu’au lieu de se replier sur » la célébration de ses archaïsmes «, la France doit s’ouvrir à l’Autre et se considérer comme un pays plurilingue où le français n’a plus que le statut de langue dominante. Il est vrai que, pour le moment, les lois sur la laïcité préservent le modèle républicain : mais jusqu’à quand ?
J’étais à la dernière audience du procès Baby Loup. La cour d’appel a confirmé le renvoi de l’employée qui voulait porter le voile à son travail. Selon l’avocat de celle-ci, c’est la directrice de la crèche qui avait elle-même mis le feu aux poudres par une exigence qui heurtait le sentiment majoritaire à Chanteloup-les-Vignes. Or, cette situation n’a rien d’exceptionnel. On peut donc raisonnablement penser que la laïcité sera, tôt ou tard, condamnée à reculer devant la force du nombre.
Si vous deviez citer un auteur ou une idée qui vous aide à penser l’Europe d’aujourd’hui, quel serait-il ?
A.F. Milan Kundera, car il me rappelle que l’Europe s’incarne dans des œuvres, des paysages, des villes, des monuments, et que ce serait faire un trop beau cadeau à Hitler que de laisser ses crimes accaparer notre mémoire.
D.C.-B. Jürgen Habermas, Ulrich Beck, et Hannah Arendt, en raison de son refus de tout nationalisme.
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Las negritas son mías.
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