JP Amette, que es un buen novelista y crítico literario, ha descrito como un adolescente nazi, Günter Grass, se transforma en “conciencia moral”, ocultando su pasado durante 65 años, con una finura que sus exegetas en español (de España y las Américas) se han obstinado en maquillar o silenciar.
Amette ilumina con claridad la transparencia del fanatismo adolescente y la pillería cínica del escritor célebre, traficando con la memoria y la historia del Crimen, el Terror, el Holocausto sin redención:
Le Point, Nº 1828, 27 septiembre 2007.
Günter Grass : l’aveu
Jacques-Pierre Amette
Dans son autobiographie, Pelures d’oignon, Günter Grass, prix Nobel 1999, confesse qu’il a porté à 18 ans l’uniforme SS. Un aveu tardif qui a fait, l’année dernière, l’effet d’une bombe en Allemagne.
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Il sait aussi très tôt qu’il y a un camp de concentration à 60 kilomètres de la ville et qu’on y enferme les « méchants ». Un professeur de son lycée menace d’envoyer les turbulents là-bas, comme s’il s’agissait d’aller au coin. Comment ne pas être stupéfait aujourd’hui devant la torpeur idéologique des Dantzigois, leur accoutumance aux disparitions, leur somnolence idéologique, leur sommeil moral, leur malléabilité devant la propagande de Goebbels ? On voit se former sous nos yeux un bon petit nazi avec la complicité des parents, du quartier, du lycée, du confesseur catholique. Grass ne le cache pas : ouvriers et bourgeois aiment bien les défilés à croix gammées, avec fanfares, fifres, tambours et étendards. Un des mérites du livre, c’est qu’on s’interroge sur cette plasticité des masses.
Grass : « Membre de la Jeunesse hitlérienne, j’étais un jeune nazi. Pas vraiment fanatique, mais le regard immuablement fixé, par réflexe, sur le drapeau dont on disait qu’il était «plus que la mort» […] Je voyais bien plutôt la patrie menacée. »
Il devient à 14 ans auxiliaire de la défense anti-aérienne, défendant le sol national contre les forteresses volantes américaines, voulant donc « vivre le danger avec autant d’intrépidité que possible ». Commentaire d’auteur : « Rien ne nous renseigne sur ce qui se passe chez un garçon de 15 ans qui, de son propre chef, veut absolument aller là où on se bat et où la mort remplit ses listes. » Il ajoute : « Alors, simplement idiot ? »
A 16 ans, début 1943, l’idiot en question protège un aérodrome. « La Baltique déferlait, monotone. […] Pour l’exercice on tirait des lapins. » Il multiplie aussi quelques aquarelles. Mais un incident le frappe : un adolescent refuse de porter une arme pendant sa préparation militaire. On a beau lui infliger des corvées de latrines, pisser sur sa paillasse, l’humilier (tout le monde s’y met), le garçon, objecteur de conscience, tient bon. Un matin, il a disparu et son casier est vide. « Nous n’avons pas demandé où il était parti. […] Mais, chuchotions-nous : «Il y avait longtemps qu’il était mûr pour le camp de concentration». » Le pays s’enfonce alors dans une guerre totale : rationnements, vitrines dégarnies, rumeurs inquiétantes, listes des morts qui s’allongent dans les journaux. Jusqu’au fameux ordre d’incorporation dans la SS, en septembre 1944, sur la table de la salle à manger. Arrivé dans un Berlin qui brûle entre deux alertes, Grass n’est pas effrayé : « Il est probable que je voyais dans la 10e division SS une unité d’élite. » Pendant sa formation de fantassin, avec marches de nuit, paquetage et masque à gaz, il n’entend rien sur les crimes de guerre « qui plus tard vinrent à la lumière ». Il précise cependant qu’il n’a pu dissimuler à sa conscience, plus tard – mais quand ? -, « d’avoir été intégré à un système qui avait planifié, organisé et exécuté l’extermination de millions d’êtres humains ». Ces Mémoires ressemblent à un dialogue impossible entre un « jeune crétin » et un vieux Nobel. Entre eux ? Une zone confuse.
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Mais la scène la plus ahurissante est à venir. Elle a lieu quand l’auteur, prisonnier de guerre, se trouve dans le camp américain de Bad Aibling, en Haute-Bavière. Sous une toile de tente, mordu par une faim obsédante, il joue aux cartes, discute avec un jeune prêtre à la voix douce, du nom de Joseph Ratzinger, connu plus tard sous le nom de Benoît XVI… C’est alors que surgit un « education officer » qui montre aux prisonniers des photos des camps de concentration de Bergen-Belsen et de Ravensbrück. Grass : « Je voyais des montagnes de cadavres, les fours. Je voyais des affamés, des morts de faim, des survivants d’un autre monde réduits à un squelette. Incroyable ? Nos phrases se répétaient : «Et ce sont des Allemands qui auraient fait ça ?» «Jamais des Allemands n’ont fait ça.» «Des Allemands ne font pas des choses comme ça.» Et entre nous nous nous disions : «Propagande. Tout ça n’est que de la propagande.» »
Voilà quelle fut la réaction de Grass et de tous ses camarades. Conclusion de l’auteur : « Il me fallut du temps pour comprendre par à-coups et m’avouer en hésitant que par ignorance, ou plutôt par ignorance volontaire, j’avais pris part à un crime que le temps n’a pas rendu plus petit, qui ne veut pas se prescrire, dont je suis malade aujourd’hui encore. »
Alors se pose la question capitale : qu’est-ce qui a convaincu Grass de la réalité des camps d’extermination ? Réponse page 187. « Ce ne sont pas les arguments de l’ education officer ni les photos aveuglantes qu’il nous a mises sous les yeux qui ont lézardé mon obstination : le barrage est tombé un an plus tard, quand j’ai entendu à la radio – je ne sais plus où – mon ancien «chef de la jeunesse du Reich», Baldur von Schirach. » Il fallait donc que la révélation sur l’horreur des camps vienne de la bouche même des dignitaires nazis à Nuremberg pour être validée ? On se pince !…
« Pelures d’oignon », de Günter Grass, traduit par Claude Porcell (Seuil, 464 pages, 22,80 E).
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