LeMonde, 29 junio 2005.
Cena amistosa con los F*, que han estado diez días de vacaciones en La Habana. Desencuentro fatal:
“No volveremos nunca. Es horrible vivir en un hotel de lujo, rodeado de pobres de misericordia. Mujeres que se prostituyen por una miseria. Gente corrompida por doquier. Y una pobreza desesperante por todas partes. El matonismo de la policía castrista da miedo: hablan como chulos armados. Los inocentes se callan. El miedo reina por todas partes. Las cosas que se cuentan de Fidel y Hugo Chávez son horrorosas: dos demagogos salidos de un esperpento de Valle Inclán. La penosa rueda de prensa de Zapatero con Hugo Chávez daba risa. Fidel delirando sobre los pueblos americanos da miedo”.
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CUBA RETOUR À LA RÉVOLUTION ?
Article paru dans l’édition du 29.06.05
Finie l’ouverture. Grâce au soutien sans faille du « fils spirituel » vénézuélien, Hugo Chavez, Fidel Castro sonne la reprise en main
«VAMOS bien», nous allons bien. Accompagnés d’une photo du Lider maximo en uniforme vert olive, ces deux mots occupent les grands panneaux dressés sur les artères de la capitale cubaine. Le sourire, forcé, donne au message une allure d’injonction. Ou de méthode Coué.
Les témoignages de plusieurs personnes qui se sont entretenues avec Fidel Castro ces derniers mois coïncident : malgré les coupures de courant qui exaspèrent une population suffoquant de chaleur, le commandant en chef de la révolution cubaine traverse une période d’euphorie. Il est convaincu que « l’alliance stratégique » avec le président vénézuélien Hugo Chavez, qu’il considère comme son fils spirituel, a donné un nouveau souffle à la révolution cubaine, qui peinait à se remettre du terrible choc provoqué par l’effondrement du bloc socialiste.
La fin de la « période spéciale », la phase d’ajustement brutal qui avait suivi la disparition de l’Union soviétique, n’a pas encore été officiellement décrétée. Mais elle est discrètement évoquée dans les cercles du pouvoir. « Le pouvoir se sent fort grâce au pétrole vénézuélien », confirme Oswaldo Paya, l’un des principaux dirigeants de la dissidence. La quantité exacte d’or noir vénézuélien livré à Cuba n’est pas divulguée. Selon plusieurs sources, cubaines et diplomatiques, elle est proche de 90 000 barils par jour. Cela permettrait à l’île d’en réexporter une partie, comme elle l’avait fait avec le pétrole soviétique.
« Grâce à son alliance avec Chavez, Cuba bénéficie des cours élevés du brut, comme si c’était un pays de l’OPEP », plaisante un diplomate. Ressemblant à son frère, en plus posé, Adan Chavez, l’ambassadeur du Venezuela à La Havane, est sans cesse sollicité par Fidel Castro. Les relations entre les deux pays se développent dans tous les domaines. Sur le plan commercial, le Venezuela est passé au premier rang des partenaires de l’île, avec des échanges de plus de 1 milliard de dollars cette année. Une mission militaire vénézuélienne de haut rang vient de se rendre à La Havane. Craignant un attentat contre son allié vénézuélien, Fidel Castro aurait mis l’expertise de ses services de renseignement au service d’Hugo Chavez, rapporte-t-on dans les chancelleries. En échange du pétrole, Cuba a envoyé plus de 20 000 médecins, dentistes et entraîneurs sportifs au Venezuela. Fidel Castro a promis de doubler le nombre de médecins et d’ouvrir 600 centres de diagnostic au Venezuela d’ici la fin 2005. Du coup, certaines cliniques cubaines commencent à manquer de personnel.
Cette coopération sans cesse plus étroite est présentée à La Havane comme la première pierre de « l’alternative bolivarienne », « l’Alba », antithèse de « l’Alca », Accord de libre échange des Amériques conçu par Washington et dénoncé par Castro et Chavez comme un projet néolibéral et néocolonial. « Les derniers événements de Bolivie, qui rapprochent Evo Morales -leader du Mouvement pour le socialisme (MAS, gauche)- du pouvoir, et le possible retour des sandinistes au pouvoir au Nicaragua confortent Fidel dans sa vision d’une Amérique latine à nouveau embrasée, où la gauche ne cesse de marquer des points », note un journaliste qui a ses entrées au Palais de la révolution.
Autre bonne nouvelle pour le Lider maximo, un gisement de brut commercialement exploitable a été découvert près des côtes cubaines par deux sociétés canadiennes, Pebercan et Sherritt International. Situé à 2 kilomètres au nord-ouest de l’île, le gisement renfermerait plus de 100 millions de barils. Cette découverte a évidemment réveillé l’intérêt de plusieurs compagnies étrangères et va relancer l’exploration dans l’off-shore cubain.
Derrière le Venezuela, la Chine et le Canada consolident leurs positions sur le marché cubain. Lors d’une visite dans l’île fin 2004, le président chinois Hu Jintao a annoncé un investissement de plus de 500 millions de dollars pour moderniser la production de nickel, dont les exportations ont pris le relais des ventes de sucre, qui se sont effondrées. La Chine fournit aussi toute une gamme de produits électroménagers dont les fameux autocuiseurs que Fidel Castro distribue depuis trois mois « pour économiser l’énergie ».
C’est dans ce contexte extérieur plus favorable qu’a été lancée l’opération de « rationalisation de l’économie », qui remet en cause les mesures d’ouverture adoptées lors de la « période spéciale ». Fidel Castro a toujours considéré ces mesures comme transitoires, nécessaires pour surmonter la crise des années 1990, mais coupables d’amplifier les inégalités sociales.
Qu’il s’agisse du travail indépendant ou des investissements étrangers, la « rationalisation » se traduit par une « recentralisation », une reprise de contrôle par l’Etat d’activités qui lui avaient échappé. La plupart des paladares, les petits restaurants privés ouverts dans les années 1990, ont fermé leurs portes. Les entreprises étrangères ne sont pas épargnées par la « rationalisation. » Le nombre de sociétés mixtes a baissé, de 412, il y a deux ans, à environ 300.
Attribuée au président de la Banque centrale, Francisco Soberon, la mesure la plus payante à court terme a consisté à interdire, en novembre 2004, la circulation du dollar, puis à réévaluer le peso convertible cubain (CUC), qui vaut désormais 1,20 dollar. Selon les estimations les plus fiables, elle a permis aux autorités de récupérer 1,5 milliard de dollars en trois mois. Ces devises, envoyées par les exilés à leurs familles ou venant du tourisme, dormaient sous les matelas dans l’attente de jours meilleurs.
Depuis le milieu des années 1990, le billet vert circulait librement et permettait aux Cubains qui en recevaient – un peu moins de la moitié de la population – d’acheter dans les « boutiques de récupération de devises », aliments, vêtements, parfums ou électroménager. Une fois ces achats réalisés, l’excédent ne pouvait être investi dans l’installation d’un petit négoce ou l’achat d’un appartement ou d’une voiture, à la différence des pays voisins où les remesas irriguent l’économie. Au fil des ans, des sommes considérables ont ainsi été thésaurisées.
« J’ai perdu 400 dollars quand j’ai été obligé de changer mes économies en CUC », ronchonne Pedro, un chauffeur de taxi qui, comme ses collègues, « oublie » souvent de brancher le compteur et empoche le montant de la course. « Mon salaire est de 248 pesos cubains. Avec la bonification de 80 pesos, ça fait 13 dollars par mois. Impossible d’acheter le lait de mon bébé avec ça », se justifie-t-il.
« La réévaluation du CUC, en deux étapes, annoncée à l’avance, a permis à la Banque centrale de reconstituer ses réserves, à hauteur de plus de quatre mois d’importations. L’objectif est maintenant de rapprocher la valeur du peso cubain et du CUC pour améliorer le pouvoir d’achat de ceux qui ne reçoivent pas de devises », explique un diplomate. Une partie des sommes captées a servi à augmenter le salaire minimum, passé de 100 à 225 pesos, les rémunérations des médecins et des enseignants, et les retraites, qui restent dérisoires. « La réévaluation du CUC ne nous affecte pas. Elle est absorbée par nos partenaires cubains », assure le représentant local d’un important groupe hôtelier européen. Jusqu’à présent, les « paquets tout inclus » proposés par les tours-opérateurs n’ont pas augmenté. Mais, pour le touriste individuel, la surprise est saumâtre et les prix salés. Surtout pour ceux qui arrivent avec des dollars américains, pénalisés par une taxe supplémentaire de 10 %.
Les responsables du secteur affichent des chiffres en progression, tirés pour l’essentiel des gros bataillons de touristes canadiens alléchés par de fortes ristournes sur les séjours tout compris. Mais le nombre de visiteurs français est en baisse depuis deux ans. La campagne lancée par Reporters sans frontières pour dissuader les vacanciers français d’aller à Cuba fonctionne-t-elle ? « Le touriste moyen s’en fout, affirme un hôtelier français. Il veut du soleil et un bon prix. Notre gros problème, c’est le transport aérien. Air France préfère acheminer des touristes venus d’autres pays, qui lui rapportent plus. »
Mais par rapport aux concurrents comme le Mexique ou la République dominicaine, la qualité du produit cubain laisse aussi à désirer. « C’est vrai que nous avons du mal à trouver des fruits frais », concède l’hôtelier. Dans la région d’Holguin, où se développe un nouveau pôle touristique plus haut de gamme, et où Bouygues a décroché plusieurs contrats, des hôtels, privés d’eau par une longue période de sécheresse, ont dû fermer récemment. Les touristes ont été relogés à Varadero.
« C’est fini, je ne travaille plus pour Fidel, dit Dario, qui vend de l’artisanat aux touristes sur un marché de la ville coloniale. Un bon jour, je peux gagner 300 pesos, l’équivalent du salaire mensuel dans un centre de travail. Et je suis libre. Ni bureaucrate ni syndicats sur le dos », ajoute-t-il. Comme beaucoup de jeunes Cubains, Dario survit en s’efforçant d’échapper à une réalité sans perspective de changement. Son refuge, c’est la littérature. Il écrit de la poésie, passe son temps à lire. « Kundera, surtout », s’enthousiasme-t-il. Beau gosse, il a séduit l’an passé une touriste tchèque. « Elle voulait m’emmener avec elle. J’ai refusé. Je suis né sur cette île, c’est mon destin d’y vivre. » Doublement insulaire, isolé du monde par la mer et les mots, Dario sent pourtant la température monter. « La chaleur et les pannes d’électricité rendent les gens agressifs. Un ami m’a parlé d’une manif à Cojimar contre les apagones -coupures de courant-. On dit qu’à Santiago la population est sur les nerfs. Mais ça n’explosera pas. Si ça monte trop, ils laisseront partir les balseros -candidats à l’exil-, comme en 1980 et en 1994. C’est la soupape de sûret é. (…) A Cuba, tout n’est qu’un grand mensonge. Ce que raconte Fidel et ce que disent les dissidents. J’en connais plusieurs dont le seul but est de partir aux Etats-Unis », résume-t-il.
« La population, explique le sociologue Aurelio Alonso, a trois grands problèmes : l’alimentation, le logement et les transports. L’augmentation des revenus permet d’améliorer les rations alimentaires, mais ne résout pas les deux autres problèmes. » Les vélos chinois qui avaient envahi les rues au plus fort de la « période spéciale » sont partis à la casse et l’achat d’une voiture demeure un rêve inaccessible pour le commun des mortels.
POUR la minorité suffisamment prospère et « connectée », un système d’échanges, accompagné de dessous-de-table, permet de s’agrandir. Un couple franco-cubain vient d’acquérir une grande maison dans un quartier résidentiel pour 150 000 dollars, restauration comprise. Mais la grande masse n’a d’autre choix que de s’entasser dans des logements de plus en plus délabrés et insalubres.
« On parle souvent à l’étranger de la répression politique, mais beaucoup moins de la répression sociale », observe Elizardo Sanchez, pionnier de la défense des droits de l’homme. « Elle s’est intensifiée ces derniers temps. Depuis janvier, la police a arrêté plus de 500 jeunes, parfois des adolescents, qui ont été condamnés à des peines d’un à quatre ans de prison à l’issue de procès expéditifs pour «dangerosité prédélictueu se˜. Dénommées «opération contention˜, ces rafles sont des opérations de nettoyage social visant des jeunes connus pour ne pas manifester d’enthousiasme à l’égard des mots d’ordre du gouvernement », ajoute-t-il. Pour d’autres, il s’agit aussi de donner un coup d’arrêt à la délinquance. « Les rues sont devenues dangereuses le soir dans certains quartiers », confirme Dario. A La Havane, plus de la moitié des victimes d’agressions, pour l’essentiel des vols à la tire, sont des touristes.
C’est la dernière soirée à Cuba de Manuel Vazquez Portal. Condamné à dix-huit ans de prison avec 74 autres dissidents lors de la vague de répression du printemps 2003, ce journaliste indépendant a été libéré pour raisons de santé. A 54 ans, il a finalement décidé de s’exiler à Miami. « Lutter contre une dictature, c’est une course de relais, il faut savoir passer le témoin aux plus jeunes. Après dix ans de lutte, je me sens épuisé. Le choix est entre partir ou s’asphyxier, d’autant que pèse toujours sur ma tête une condamnation à seize ans de prison. » Manuel ne cache pas sa désillusion. Le changement, craint-il, devra attendre « la solution biologique ». Il cite José Marti, seule référence commune de tous les Cubains, pro et anticastristes : « Un peuple qui supporte une dictature la mérite. »
Jean-Michel Caroit
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